L'Abeille Noire en danger
Si j’ai décidé de créer ce site, c’est parce que je ressens le besoin urgent de porter à la connaissance du grand public l’existence de l’Abeille Noire (Apis Mellifera Mellifera). Bien qu’elle soit tout simplement notre abeille commune, le non initié à l’apiculture ne sait pas que cette abeille est notre abeille à miel naturelle, une abeille endémique, et bien moins encore que c'est elle qui est aujourd’hui en danger d’extinction.
Au cours des dernières années, l’Homme a commencé à prendre conscience de la disparition des abeilles, et cette cause est même récemment devenue nationale, par exemple avec la création de la journée de l’abeille le 20 mai.
Si l’utilisation massive de pesticides et l’urbanisation ont été les causes premières de l’effondrement des populations d’abeilles et a fortiori, la mise à mal de la biodiversité en France et dans le monde, les pratiques de l’apiculteur lui-même jouent néanmoins un rôle important dans la sauvegarde de l’abeille et de son environnement.
Le début des importations: une erreur tragique
L’Homme pense souvent que l’herbe est plus verte ailleurs, et ainsi, à partir des années 1960, a commencé à importer des abeilles d’autres sous-espèces. Comme une sorte de mode, le bal a été ouvert avec les importations d’abeilles dites italiennes (Apis Mellifera Ligustica) qui est l’abeille endémique en Italie. On disait d’elle qu’elle était douce, et productive. Puis ce fut au tour de la carniolienne dans les années 1970 (Apis Mellifera Carnica), abeille endémique dans l’Est de l’Europe. La décennie suivante a vu arriver la caucasienne (Apis Mellifera Caucasia), depuis la région du Caucase. L’effervescence de la nouveauté faisait jaillir de toutes parts des « besoins » nouveaux chez les apiculteurs.
Notre Abeille Noire native a été boudée, jugée trop lente, pas assez productive, voire même agressive. C’est pourtant notre abeille endémique Française et Ouest européenne Apis Mellifera Mellifera qui a survécu des millénaires durant, et a accompagné l’humain au quotidien, dans une harmonie qui n’avait pourtant rien à envier aux contrées voisines.
Plus triste encore, ces mouvements insensés d’abeilles ont favorisé le développement d’éléments perturbateurs d’une apiculture jusqu’alors simple et saine, et ont notamment engendré l’implantation et la prolifération spectaculaire du varroa destructor, parasite redoutable de l’abeille originaire d’Asie, aujourd’hui responsable d’une part importante des mortalités de colonies.
L’abeille de Buckfast: la mise à mal de l’abeille endémique enclenchée
Parallèlement à cela, une autre abeille a fait son entrée sur la scène apicole. Au début du XXème siècle en Angleterre, alors que de nombreuses colonies ont péri d’un virus foudroyant et que la production de miel du pays était au plus bas, un moine de l’Abbaye de Buckfast dans le sud de l’Angleterre du nom de Karl Kehrle, également connu sous le nom de Frère Adam, a entamé le projet de la création d’une abeille plus résistante, plus docile et surtout, plus productive. Au terme de plusieurs décennies de recherche génétique, de mise au point et de perfectionnements successifs, une abeille hybride a vu le jour. Cette abeille, baptisée abeille de Buckfast, fut ainsi mise sur le marché, et connut un succès immédiat et fulgurant.
À ce jour, on estime que le cheptel français (c’est-à-dire, la population globale des ruches de France) est composé d’environ 90% d’abeilles Buckfast. Ce sont les abeilles ocre-jaunes à rayures que l’on voit partout dans la nature, et qui paradoxalement représentent pour tout un chacun, la «norme» de l’abeille.
Bien sûr, installée auprès des zones de cultures, l’abeille de Buckfast tient ses promesses quant aux volumes de miel qu’elle est capable de produire, et a séduit de nombreux apiculteurs en ce sens.
Cependant, bien que cette création de l’Homme représente une prouesse honorable de la génétique, la nature finit par nous rattraper. Malgré les qualités qu’on lui attribue, cette abeille hybride ne s’avère pas être un miracle ni une solution durable.
Bien que les quantités de miel obtenues soient intéressantes (et je parle ici de quantité, et non de qualité), l’abeille Buckfast est plutôt gloutonne et requiert des nourrissements au sucre conséquents. Par ailleurs, contrairement à notre abeille endémique, championne de la rusticité et de la prévoyance, l’hybride reste très vulnérable aux prédateurs comme la varroa ou encore le frelon asiatique, manquant de spontanéité et de résistance innée que l’on trouve chez l’abeille native. Il en est souvent de même pour les abeilles endémiques importées des autres régions du monde: soustraites à leur environnement naturel natif, elles se retrouvent fragilisées.
C’est ainsi que l’apiculture moderne, conduite avec des abeilles d’importations ou hybrides, est aujourd’hui une énorme consommatrice de sucre et de produits vétérinaires chimiques pour maintenir leurs populations sur notre territoire d’une manière de plus en plus artificielle. Nous avons plongé peu à peu dans le non-sens.
L’abeille Noire en déperdition ?
Encore l’unique abeille mellifère sur notre territoire il y a 60 ans, aujourd’hui Apis Mellifera Mellifera frôle désormais un pourcentage effarant d’environ 6 à 8% du cheptel français. Les quelques apiculteurs soucieux de sauvegarder notre espèce endémique font face à un obstacle de taille. En effet, chez l’abeille mellifère, la fécondation des jeunes reines se fait à l’extérieur de la ruche, à l’occasion d’un vol nuptial unique. La reine est fécondée par une douzaine de mâles, assurant ainsi une réserve suffisante de sperme pour engendrer la ponte et la naissance d’une descendance suffisante. Malheureusement, les mâles participant à ce vol de fécondation peuvent être aussi bien des mâles de la même sous-espèce que d’autres sous-espèces ou hybrides. On obtient alors un métissage de la population, et un appauvrissement sans précédent du patrimoine génétique de l’Abeille Noire, patrimoine pourtant extrêmement précieux, fruit de près d’un million d’années d’adaptation au territoire, à la biodiversité et au climat de notre pays.
Le déclin de l’abeille Noire, un déclin de l'équilibre de la nature
L’abeille Noire, étant notre abeille endémique, est calibrée pour faire face aux aléas du climat. Elle a survécu aux deux ères de glaciation, développant des conditions d’hivernage exceptionnelles. Elle a démontré des capacités de résistance impressionnantes à ses prédateurs, et produit un miel d’une qualité remarquable tout en contribuant à préserver la végétation qui constitue la biodiversité de nos terres. Là où l’abeille Buckfast a pour objectif un rendement en quantité en priorisant les cultures, l’abeille Noire travaille avec la biodiversité, dont elle constitue un élément intrinsèque.
Si l’Abeille Noire venait à disparaître, alors les abeilles restantes, allochtones, maintenues artificiellement au prix fort, fragiles, non adaptées à notre territoire, seraient le levier sur lequel repose l'équilibre de notre biodiversité. Nul besoin de préciser que ce dernier serait alors sévèrement compromis.
Le rôle de l’apiculteur
Lorsque l’on vient à s’intéresser à l’apiculture, c’est qu’on ressent un intérêt pour les abeilles et par déduction toute logique, pour la nature. Très souvent, pratiquer l’apiculture, c’est pour l’apiculteur la poursuite d’un désir d’échapper un instant au rythme stressant et effréné de notre société actuelle de consommation et de rendement.
La question cruciale que l’on peut se poser est celle-ci: pourquoi l’homme cherche-t-il à imposer à ses abeilles un modèle calqué sur sa propre société - celle que lui-même fuit - alors qu’il est pourtant parti d’un bon sentiment, celui d'un rapprochement avec la nature ?
L’immense majorité des apiculteurs pratique l’apiculture en loisir. Un loisir rémunérateur, certes, ce n’est pas inintéressant, mais il ne constitue pas leur revenu principal, leur salaire mensuel. L’objectif de l’apiculteur de loisir ne doit pas être le rendement, mais le respect absolu de l’abeille, et le plaisir de la côtoyer. Quoi de plus beau que de tirer les enseignements de l’observation de la nature, de découvrir ce que les abeilles ont à nous dire, à nous montrer, au rythme qui est naturellement le leur ?
L’Abeille Noire est la réponse à cela. Elle est la nature. Il nous revient de la respecter et de suivre ses pas, et non le contraire.
ATTENTION !L'abeille noire espagnole n'est pas notre abeille endémique française !
Si vous souhaitez acquérir des abeilles Noires endémiques françaises (Apis Mellifera Mellifera), prenez garde à ne pas aller trop vite et de bien vous renseigner sur la sous-espèce que vous achetez. Certains commerces proposent de l'"Abeille Noire" à la vente, or celles-ci proviennent d'Espagne. Cette sous-espèce sera de l'Apis Mellifera Iberica et non de l'Apis Mellifera Mellifera.
Bien que l'Iberica espagnole, issue de la même lignée évolutive que notre abeille Noire française (lignée M), présente de grandes qualités, elle sera en France, comme toute autre abeille issue de l'importation ou hybride, dans un environnement qui n'est pas naturellement le sien. Ainsi, ses qualités natives sont mises à l'épreuve dans une contrée étrangère, bien que voisine.
Par ailleurs, croisée avec une autre sous-espèce d'abeille lors de la reproduction, l'Iberica développe un caractère agressif.
Par conséquent, si votre rucher se trouve en France, il vaut mieux se tourner vers un(e) éleveur(se) français(e), spécialisé(e) en Abeilles Noires françaises pour acheter un essaim d'abeilles endémiques.